Quelle est la différence entre démembrement et pleine propriété ?
La pleine propriété est la façon la plus courante de détenir un bien. Cependant il existe, depuis bien longtemps, une autre façon de posséder la propriété d’un bien. Cette alternative est nommée le démembrement de propriété. Nous allons donc aborder la définition ainsi que la distinction entre ces deux modes de propriété.
Un peu d’histoire
Historiquement, la notion de propriété a émergé très tôt en France. En effet, la plupart des historiens s’accordent à penser que celle-ci est née 2500 ans avant Jésus Christ, lors du découpage des terrains en champs individuels. À Rome, la naissance de l’expression “pater familias” a eu lieu suite à cette émergence de la notion de propriété. En effet, les terres étaient attribuées de façon à ce que celles-ci appartiennent à l'État mais les citoyens pouvaient effectuer leurs récoltes sur le terrain qui leur était donné. Au fil des années, les populations commencèrent à garder leurs terres plus longtemps, puis elles s’attribuèrent la propriété de celles-ci. Cette propriété n’était réservée qu’à certains citoyens privilégiés dans un premier temps. Durant son règne, Justinien décida d’éteindre ce droit sur la totalité de son empire. Le Code Justinien, connu sous le nom de Codex Justianus, recueille et organise les règles créées sous le règne de Justinien Ier. Parmi elles nous retrouvons notamment celles touchant à la propriété et à la création de trois attributs :
Le jus utendi : le droit d’utiliser le bien
Le jus fruendi : le droit de percevoir le fruit de la chose
Le jus abutendi : le droit de disposer d’un bien
C’est de ces trois attributs que va naître la pleine propriété et le démembrement de la propriété.
Distinction entre démembrement et pleine propriété
La distinction, entre démembrement de propriété et pleine propriété, s'effectue au niveau de ce découpage des prérogatives de la propriété. Nous parlons de pleine propriété lorsqu’un seul individu réunit les trois attributs évoqués plus haut. Ces attributs sont dorénavant nommé différemment :
L’usus : le droit d’utiliser le bien
Le fructus : le droit d’en percevoir les fruits
L’abusus : le droit de disposer du bien
Ainsi, nous pouvons définir la pleine propriété comme étant la possession, par une entité (personne physique ou morale), de toutes les prérogatives existantes sur un bien mobilier ou immobilier. Cela signifie donc la possession simultanée de l’abusus, de l’usus et du fructus.
À contrario, le démembrement de propriété se distingue de la pleine propriété par sa division de ces différentes prérogatives entre plusieurs entités. Il est alors possible, lors d’un démembrement de propriété, de retrouver plusieurs personnes possédant chacune des droits différents sur un même bien.
Quelle est la distinction entre usufruit et nue-propriété ?
Au sein du démembrement de propriété, il existe deux grands acteurs : le nu-propriétaire et l’usufruitier. Nous allons donc définir leurs fonctions ainsi que les prérogatives de chacun afin de mieux comprendre leurs rôles respectifs.
Définition des termes usufruitiers et nu-propriétaires
Juridiquement parlant, la distinction entre les usufruitiers et les nu-propriétaires s’effectue sur les différentes prérogatives et les différents droits que chacun des deux acteurs possède. En effet, nous avons vu que la division des attributs de la propriété provient de l’Antiquité Romaine. Cette division a perpétué jusqu’à revêtir, aujourd’hui, une appellation différente. Nous parlons donc des trois mêmes attributs portant un nouveau nom :
L’usus, c’est l’ancien jus utendi. Les personnes détenant l’usus ont donc le droit d’utiliser le bien. Cela signifie donc qu’ils peuvent habiter dans celui-ci par exemple
Le fructus, il s’agit du jus fruendi. Le fructus permet donc à ses détenteurs de récolter les fruits émanant du bien. Ces fruits peuvent prendre la forme de loyers lorsque le bien est immobilier
L’abusus, cet attribut fait référence au jus abutendi. L’abusus est une garantie, celle de pouvoir disposer du bien. On ne pourra vendre un bien immobilier sans accord de la personne détenant l’abusus
Les nus-propriétaires possèdent ainsi l’abus tandis que les usufruitiers détiennent l’usus ainsi que le fructus. La distinction se fait donc sur leur rapport de jouissance du bien démembré. Leurs droits sur le bien n’étant pas les mêmes, ces deux acteurs ne détiennent alors pas les mêmes devoirs non plus. C’est ce que nous allons expliciter dans notre prochaine partie.
Les droits et devoirs de l’usufruitier et du nu-propriétaire
Les droits et devoirs des usufruitiers et nus-propriétaires vont se rattacher à leurs prérogatives. En effet, le nu-propriétaire ne réside pas dans le bien démembré, contrairement à l’usufruitier. Dès lors, le nu-propriétaire ne sera pas chargé de payer les impôts locaux du bien. Ainsi, ces redevables ne subiront pas une double imposition. Seul l’individu résidant dans le bien sera chargé de payer les impôts locaux.
Les prérogatives de l’usufruitier :
Droits
Parmi les prérogatives de l'usufruitier, nous retrouvons deux droits complémentaires l’un à l’égard de l’autre. Il y a tout d’abord le droit de l’usage du bien par l’usufruitier défini à l’article 578 du Code Civil, ainsi que le droit de jouissance du bien que l’on retrouve à l’article 582 du Code Civil. Ces droits se matérialisent par la possibilité de :
Habiter dans le bien immobilier
Effectuer des modification mineures du bien, n’altérant pas sa substance initiale
Récolter les loyers émanant du bien lorsque celui-ci est mis en location
Devoirs
Les obligations, incombant à l’usufruitier, se divisent en deux périodes temporelles. Il y a tout d’abord les obligations commençant avant l’entrée en jouissance du bien. Puis les obligations prenant naissance lors du commencement de la jouissance du bien par l’usufruitier. Dès lors, les obligations de l’usufruitier peuvent être scindés en deux périodes.
Durant la première période, il est conféré à l’usufruitier l’obligation de dresser, en présence du propriétaire, une liste de l’inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit. Nous retrouvons cette obligation à l’article 600 du Code Civil. L’article suivant, le 601 du Code Civil, établit également un obligation de caution avant l’entrée en jouissance de l’usufruit. Cette condition est obligatoire ; à moins que cette entrée ne se fasse entre des membres d’une même famille.
Lorsque ces obligations sont remplies, l’usufruitier fait face à de nouvelles obligations qui relèvent de son entrée en jouissance jusqu’à la fin du démembrement. Ces obligations sont les suivantes :
Jouir raisonnablement du bien. Cela signifie qu’il est nécessaire de ne pas dénaturer le bien en l’utilisant d’une façon qui sorte de son cadre de destination initial
Respecter la destination des lieux. Afin de remplir convenablement cette obligation, l’usufruitier ne pourra modifier en aucun cas la substance initiale du lieu
Supporter les charges usufructuaires. Ainsi, certaines charges sont obligatoirement supportées par l’usufruitier, vous les trouverez dans l’article dédié
Les prérogatives du nu-propriétaire
Le nu-propriétaire peut sembler avoir un rôle passif lors d’un processus de démembrement de propriété, mais ce n’est pas le cas. En effet, celui-ci possède aussi des droits et des devoirs à accomplir afin de veiller à la bonne scission des prérogatives du bien.
Droits
Le nu-propriétaire dispose de plusieurs droits. Parmi ceux-ci, nous retrouvons :
Le droit “de disposer” : Cette formulation signifie alors que le nu-propriétaire peut vendre, donner ou accomplir tous les actes de disposition qu’il souhaite sur sa nue-propriété
Le droit de percevoir les produits : Les produits sont à distinguer des fruits, qui eux sont attribués aux usufruitiers. En effet, lorsqu’une chose - au sens juridique - crée des éléments, alors ceux-ci peuvent être considérés soit comme des fruits, soit comme des produits. Les produits sont la production d’un élément émanant d’un bien mais qui, lors de processus de création, en altèrent sa substance, tandis que les fruits sont formés sans altérer d’une quelconque manière la substance du bien
Exemple : Si le bien est une mine, les produits issus de son exploitation appartiennent au nu-propriétaire.
Le droit de provoquer la déchéance en cas d’abus de jouissance de l’usufruitier
Le droit d’intenter des actions pétitoires : Ce terme désigne une action en justice par laquelle le demandeur revendique la propriété d’un bien immobilier
Devoirs
Les devoirs du nu-propriétaire sont plus importants et conséquents que ses droits. Expert Impôts vous précise ci-dessous les différentes obligations auxquelles le nu-propriétaire est assujetti :
Obligation de ne pas faire. Cette obligation porte bien son nom puisque le nu-propriétaire est assujetti à une obligation d’abstention. Cette obligation découle de l’article 599 alinéa 1er du Code Civil. Ainsi, le nu-propriétaire ne peut ni aménager, ni transformer, ni détruire le bien démembré
Obligation d’entretenir le bien lors des grosses réparations. Cette obligation complète, en quelque sorte, l’obligation de l’usufruitier d’entretenir et d’être à la charge des réparations usufructuaires sur le bien démembré. En effet, le nu-propriétaire a la charge d’entretenir le bien face à toutes les réparations de grande envergure. L’article 606 du Code Civil définit ces réparations. Expert Impôts vous met à disposition un tableau récapitulant les travaux entrant dans cette catégorie
Qui gère le bien immobilier ?
Le bien immobilier démembré est régi par des règles juridiques spécifiques. En effet, les droits sur la propriété n'incombent pas de la même manière à l’usufruitier qu’au nu-propriétaire. Le nu-propriétaire, du fait de son droit de possession du bien, a également des devoirs. Parmi ses devoirs, le plus important est celui touchant à l’entretien du bien. En effet, le nu-propriétaire a pour obligation de maintenir le bien en état afin que celui-ci ne soit pas insalubre. De cette façon, il s’engage à respecter toutes les obligations financières nécessaires à cet entretien. L’usufruitier, quant à lui, se retrouve également responsable du bon entretien du bien démembré. Dès lors, il devra effectuer des dépenses d’entretien nécessaires afin que le bien puisse conserver son bon état initial.
Devoirs des parties au démembrement :
Source : Expert Impôts
Quel est le barème fiscal utilisé pour calculer la valeur de la nue-propriété et de l’usufruit ?
En cas de démembrement de propriété, un barème fiscal spécifique sur la répartition de la valeur mobilière ou immobilière d’un bien est en vigueur. Ce barème permet de définir la répartition de la valeur du bien selon plusieurs critères. Parmi eux, nous retrouvons :
Un critère juridique : s’agit-il d’un démembrement viager ou d’un démembrement fixe ?
Un critère naturel : quel est l’âge de la personne touchée ?
Un critère de formalisme : parlons-nous de l’usufruitier ou du nu-propriétaire ?
En répondant à ces trois questions, vous pourrez alors trouver la valeur totale de la part démembrée de votre bien. Les formules de calcul applicables sont les suivantes :
Valeur de l’usufruit viager = pourcentage de l’usufruit en fonction de l’âge x valeur totale du bien
Valeur de l’usufruit temporaire = pourcentage de la durée de l’usufruit x valeur de la propriété entière
Dans le cas où vous cherchez à vous renseigner plus précisément sur la valeur de l’usufruit, le barème de l’usufruit ou les calculs à effectuer, un article par Expert Impôts a été rédigé sur le sujet et vous expliquera tout en détail.
Exemple de calcul de la valeur de l’usufruit et de la nue-propriété
Afin d’illustrer nos propos, nous allons envisager un exemple de calcul de la valeur de l’usufruit et de la nue-propriété.
Exemple :
Paul a 65 ans et souhaite transférer la nue-propriété de sa maison à sa fille, Alice. En effet, le transfert de la nue-propriété lui permettra de garder l’usufruit et, ainsi, de continuer à résider dans son bien tout en limitant les droits de succession de sa fille plus tard. La maison dans laquelle il habite a une valeur de 600 000€ en pleine propriété. Afin de calculer la valeur de son usufruit, nous allons donc procéder en quelques étapes, conformément à notre article sur la valeur de l’usufruit.
La première est de déterminer le type de démembrement. Paul souhaite anticiper la succession de sa maison à l'égard de sa fille en effectuant un démembrement de propriété prenant fin à son décès. Nous pouvons donc déduire qu’il s’agit d’un démembrement de propriété viagère. Il faudra alors se référer au tableau de pourcentage pour démembrement viager ainsi que de la tranche d’âge dans laquelle Paul s’inscrit. Celui-ci a 65 ans donc le pourcentage applicable sera celui compris entre 61 ans et 71 ans révolus. Ce pourcentage est alors de 50%. Finalement, Paul nous dit que le bien a une valeur pleine de 600 000€. Nous avons donc tous les éléments nécessaires afin d’effectuer le calcul.
Valeur de l’usufruit viager = pourcentage de l’usufruit en fonction de l’âge x valeur totale du bien
Valeur de l’usufruit viager de Paul = 50% x 600 000€ soit 0,5 x 600 000€ = 300 000€
La valeur de la part de l’usufruit viager de Paul est donc de 300 000 €
Le fonctionnement fiscal de l’usufruitier et du nu-propriétaire diffèrent d’une fiscalité normale. En effet, les prérogatives fiscales ainsi que la redevabilité à certains impôts n’incombent pas toujours aux deux acteurs.
Qui est redevable de l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) ?
C’est l’usufruitier qui doit s’acquitter du montant de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI, ex ISF) dans le cas d’un bien démembré. En effet, le nu-propriétaire ne possède que le droit de disposer du bien. Au contraire, l’usufruitier possède le droit d'utilisation et de récolte des fruits du bien. C’est donc à ce-dernier acteur que l’IFI est adressé.
Comment vendre le bien ?
Il existe globalement 3 scénarios qui peuvent amener à la vente d’un bien démembré :
Le nu-propriétaire souhaite unilatéralement vendre le bien
Le nu-propriétaire et l’usufruitier s’accordent à vendre le bien
L’option de la vente de l’usufruit seul
Dans chacun des cas, un principe simple est à respecter : celui du respect des prérogatives de chacun. En effet, en vendant leur bien individuellement, ni le nu-propriétaire ni l’usufruitier ne pourront entraver leurs prérogatives respectives. Dès lors, dans le cas où vous possédez l’usufruit d’un bien et que la personne détenant la nue-propriété décide de vendre sa part, cela n'influera aucunement dans vos attributions. Il arrive également que le nu-propriétaire et l’usufruitier s’accordent pour vendre le bien communément à une personne tierce. Dans ce cas de figure, si la vente ne vous satisfait pas, vous pourrez garder votre part de la propriété et décider de la vendre séparément.
Le démembrement après une succession
Le démembrement de propriété permet donc de bénéficier de nombreux avantages dont certains au niveau successoral et des donations. La donation et la succession sont des sujets intéressant très souvent les personnes souhaitant faire un démembrement de propriété afin de bénéficier des avantages découlant de ce processus. Expert Impôts vous présente ces processus afin que vous puissiez bénéficier des avantages fiscaux qui en découlent.
Le droit de succession, à l’inverse du droit de donation, n’intervient qu’à la suite d’un décès. Un démembrement de la propriété intervient souvent suite à une succession. Ainsi une personne voulant prévoir sa succession peut d'ores et déjà entreprendre une scission de la propriété des biens afin de préparer la succession entre usufruitier et nu-propriétaire. En effet, en gardant l’usufruit et en cédant la nue-propriété du bien à ses enfants, un parent pourra alors réduire les frais de l’imposition successorale applicable. Ceux-ci ne seront applicables qu’en s’appuyant sur la valeur de la nue-propriété et non plus de la valeur en pleine propriété du bien.